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l’iris, dilaté par la passion rallumée, semblait avoir envahi, absorbé la cornée bleuâtre, — comme un feu violent qui lécherait le lait d’une coupe pleine et en montrerait le fond calciné et noirci.

— « Ce n’est pas moi, Ryno ; c’est le sort, c’est le sang ! » reprit-elle lentement, obstinée, aveugle, et avec des intonations si pleines de sa belle voix de contralto, qu’elle réapparut à Ryno — comme aux premiers jours de leur jeunesse — une créature mystérieuse, surnaturelle, ayant de l’ombre dans la voix comme elle en avait dans le regard et sur la lèvre ; provocante par ces ombres mêmes, agaçante comme l’Androgyne d’une volupté qui n’a pas de nom.

On l’a vu déjà, c’était là une de ses toutes-puissances, et Ryno y avait toujours succombé. D’ailleurs, il espérait sans doute, tout en cédant à cet attrait irrésistible qui la vengeait de sa laideur, qu’en s’y livrant sans nulle réserve, il parviendrait à le faire mourir. Le malheureux ! il se disait que tout cela n’était qu’illusions décevantes de perspective, sensations du passé, avivées par la distance, feux follets d’égarants souvenirs… Et il la pressait sur son cœur avec une véritable furie, croyant ne tenir qu’un spectre, croyant qu’à force de l’étreindre ce spectre s’évanouirait dans ses bras, et que le charme dont il était victime serait enfin… enfin rompu ! Ainsi, ses transports s’accroissaient du désir de