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collier de corail. Je suis Espagnole et presque Maure. Ma pensée, c’est tout moi, c’est tout mon être, et je te l’ai longtemps écrite sur le cœur avec une encre ineffaçable. Ô Rynetto ! que je l’y lise encore ! Si le temps en a fait pâlir les caractères, que j’y repasse de cette encre rouge qui est ma vie et avec laquelle je t’écris ! Vois-tu ! c’est un sort. Le sang qui a scellé notre union se retrouve partout, et doit teindre tout entre nous. Ici, dans cette cabane de pêcheurs, ils n’avaient rien qui servît à écrire. Je me suis piqué la veine où tu as bu, et je trace ces mots à peine lisibles, avec l’épingle de mes cheveux, sur cette feuille détachée d’un vieux missel. Reconnaîtras-tu ce sang qui t’appelle, qui crie vers toi sur ce papier, comme il crie au fond de mes veines, brûlantes, lassées, infiltrées de la bile d’un mortel ennui ? C’est comme le mal du pays, ce que j’éprouve. Dix ans avec toi, n’était-ce pas une patrie que j’avais dans ton cœur ?… Tu m’en as chassée. Je suis partout une étrangère, et j’ai le marasme de l’exil, Ryno, je t’attends ce soir au Bas-Hamet des Rivières. Viens pour une heure, mais viens ! Rafraîchis-moi les yeux de toi. Étanche-moi le cœur d’un peu de toi ! Je te le demande par nos dix ans, et par notre Ninette, ce lien d’amour et de mort, par ce doux enfant perdu et qui dort là-bas si tranquille, au