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le devinerait-elle !… L’autre soir, auprès de ce feu allumé par les matelots de mon pays, elle m’a couverte de ces regards chargés et brillants de soupçon, comme nous en avons entre nous quand nous devinons nos rivales. Mais qu’importe ! je jouerais ce jeu pour te voir. Ma mère m’a dit souvent, dans mon enfance, l’histoire de cette jeune fille que la comtesse de Policastro avait fait murer vive dans son alcôve, parce qu’elle l’avait surprise dans sa glace, souriant à son mari pendant qu’elle la déshabillait. Je ne crains pas le sort de cette jeune fille. Vellini n’est pas une de ces faibles créatures qu’on puisse enterrer dans un mur comme un oiseau auquel on a coupé le bec, les griffes et les ailes, ou ensabler comme cette blanche Caroline dont ils nous parlaient l’autre soir. Mais elle le serait, Ryno, qu’elle s’exposerait à cette destinée pour voir de loin, sans y toucher et en silence, ce front qui a tant dormi contre son sein. « Voir, c’est avoir », dit la chanson bohémienne. Quand je te verrai, je t’aurai, Ryno !

« Hélas ! je ne sais point écrire pour te persuader ces choses, vraies comme moi, cariño. Je ne sais point envoyer, à la manière de tes Françaises, dans les plis d’un papier léger, de petits morceaux de ma pensée, enfilés les uns au bout des autres, comme les grains de mon