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disaient pas. Pour des cœurs délicats et qui ont bu dans la coupe enchantée de la Confiance, rien n’est affreux comme ce supplice. Hermangarde voyait d’un œil fixe toujours suspendue sur son cœur la pointe d’une épée qui n’était peut-être qu’une illusion d’épée… mais aurait-elle jamais le moyen de s’assurer de la réalité d’une vision qui la terrifiait ?… L’anxiété s’ajoutait aux tourments de l’apparence. Quant à Ryno, il pénétrait la pensée qui bourrelait l’âme de sa femme, et il ne pouvait rien sur cette pensée ; il la lui laissait. Il essaya néanmoins de l’endormir et de la perdre dans les nombreuses expressions d’un amour qui n’avait besoin de nul effort pour être éloquent et bien sincère. Il est vrai qu’il n’inventait pas. Il continuait d’être le Ryno amoureux, prosterné, charmant de grâce ardente et de passion souveraine qu’il était, depuis six mois, sans que les couleurs de cet amour eussent seulement pâli ! Mais continuer d’être tout cela, — ne pas pouvoir monter davantage, mais planer dans cet éther de feu, — n’était-ce pas assez pour verser l’oubli dans l’ivresse, au cœur de la femme qu’il aimait ? Hélas ! non, ce n’était pas assez.

L’idée qu’elle gardait dans les expansions les plus involontaires, une douleur aux replis de son âme nitide, au fond de ce calice fumant