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qu’on porte pour y voir plus clair. Triste sentiment ! diront les cœurs difficiles, à qui le temps rabattra un jour le caquet, mais en somme le plus méritoire, car lorsqu’on s’aime ainsi, l’égoïsme n’a rien à y prétendre, et c’est qu’il est véritablement impossible de s’empêcher de s’aimer.

Me reconnaissez-vous à ce langage, mon cher vicomte ? Vous le voyez, ces quatre mois passés loin de vous ne m’ont pas changée. Ils n’ont point emporté cette manie que j’ai depuis trente ans de moraliser sur le cœur. Vous souvenez-vous quand vous m’appeliez votre belle métaphysicienne ?… Ah ! mon vieil ami, j’ai pu l’exercer, ma métaphysique, depuis que je suis dans ce pays. Les sentiments d’Hermangarde pour son mari, de M. de Marigny pour Hermangarde, sont un merveilleux thème offert par un hasard bienfaisant à l’observation et à l’analyse. J’assiste, vous en doutez-vous ?… à un de ces spectacles comme on n’en voit pas beaucoup dans la vie : au spectacle de l’amour sanctifié par le mariage, de l’amour légitime et heureux ! J’en jouis profondément comme d’un rayon qui vient réchauffer ma vieillesse avec mélancolie, car il éclaire davantage les indigences de mon passé. À cette lueur si pure et si douce, en présence de ce bonheur si grand, si tranquille, je vois mieux tout ce