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et que le temps était beau, — reprit Vellini, — nous allions promener dans la lande quand nous t’avons rencontré sur le pont, toi et ton Hermangarde. Ah ! comme vous aviez l’air heureux ! Dans cette voiture, où nous étions, nos flancs en ont tressailli l’un contre l’autre. « Vous n’êtes pas guérie non plus, » m’a-t-elle dit, Martyre de Mendoze, avec un sourire que j’ai compris, car on voudrait parfois que l’univers tout entier mourût de la plaie qu’on a au cœur. Il semble que cela soulagerait. Nous nous sommes tues longtemps. Notre promenade a été morne. « Vous vouliez revoir Ryno, — a-t-elle ajouté. — Vous l’avez revu, êtes-vous contente ?… » Je n’ai pas répondu. Tu avais l’air si heureux ! Pendant nos dix ans, tu n’as jamais eu cet air-là, même dans mes bras. Oh ! je ne pensais point à Hermangarde, je ne la haïssais pas. Pourquoi la haïrais-je ? Je ne t’aime plus, quoi qu’elle dise, madame de Mendoze. Je puis juger l’amour, puisque j’en ai eu pour toi un si profond et si violent. Non ! ce n’était pas de l’amour blessé que je sentais saigner dans mon cœur. Mais ce bonheur que je voyais, après cinq mois, aussi splendide, aussi radieux que le jour de ton mariage, au pied de l’autel, insultait à tous les bonheurs de notre passé. Le soir, je quittai la comtesse pendant qu’elle dormait. Je m’en vins à ce village qui est là-bas, — et du