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Vallière, Ryno eût aimé les traces de la petite-vérole sur le visage adoré, elle l’aurait gagnée en s’y exposant avec joie, pour lui paraître plus charmante… seulement pour lui plaire un peu plus.

Ils avaient dîné loin du regard des domestiques, qu’ils avaient renvoyés, la table servie, et ils avaient pu dans ce dîner tête-à-tête, ou pour mieux parler, cœur contre cœur, se rapprocher, mêler leurs mains, mêler leurs pieds, mêler les moiteurs de leurs fronts et se laisser aller à la dérive de tous les caprices des imaginations énamourées. Ah ! quel beau moment dans l’amour, lorsque la pudeur ne voile plus ses troubles et qu’elle sent son plumage de cygne s’embraser ! « Bois dans mon verre, — avait dit Hermangarde à Ryno, avec un sourire ardent et languide, — tu sauras ma pensée. Cette pensée que je ne puis exprimer comme je la sens, — continuait-elle oppressée, — tu sauras si elle est assez à toi ! » Et exprès, elle laissait au bord du verre quelque chose qui n’était pas sa pensée. Cette trace nectaréenne d’une lèvre jeune et liquide, ce haschisch de la bouche qu’on aime, qui donne plus d’ivresses et de rêves que tous les opiums de l’Orient, Ryno l’avait savourée bien des fois avec d’inépuisables sensualités ; mais ces sensualités brûlantes se purifiaient, sans se froidir, dans l’éther des plus saintes tendresses. Il n’y avait