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jour s’évaporait peu à peu dans les airs. Ce fut à la nuit close qu’ils descendirent la rue mal pavée de Barneville. On commençait d’allumer dans les maisons les lampes fumeuses, dont la lueur passait à travers les fenêtres à petits carreaux. Hermangarde souffrait évidemment du silence prolongé de son mari. La vue de madame de Mendoze, pensait-elle, lui avait rappelé trop vivement un passé détruit ; mais est-ce que les remords seraient des regrets ?… La jalousie commençait donc de lui appuyer sur le cœur sa griffe cruelle, comme si elle eût tâté la place où bientôt elle l’enfoncerait. Marigny ne se doutait guères des douleurs qu’il infligeait déjà à cette belle enfant, qui lui avait donné son cœur et sa vie. Il l’aimait avec une passion si sincère que c’était surtout à cause d’elle qu’il repoussait dans sa pensée l’obsédante vision de Vellini. Comme tous les hommes qui secouent une image jetée, comme un joug, sur leur souvenir, il éprouvait la soif du mouvement physique, de ce mouvement stérile qui remue pour rien nos angoisses dans nos poitrines et ne nous lance pas l’âme dont nous souffrons hors du sein ! Au sortir de Barneville, il donna de l’éperon à son cheval, comme s’il avait été seul, ne se rendant pas bien compte de ce qu’il faisait, et il se précipita sur les grèves avec une impétuosité folle. Herman-