Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pieds, une jeune fille dont le profil, éclairé par l’écarlate reflet de la braise, ressemblait à la belle médaille grecque qui représente Syracuse, non sur du bronze alors, mais sur un fond d’or enflammé. Elle avait travaillé tout le soir en silence. Mais la soirée s’avançant toujours, fatiguée de son éternelle tapisserie, elle l’avait laissée rouler de ses mains avec une nonchalance douloureuse. Puis elle s’était levée, avait pris la bouilloire au foyer, et s’était mise à verser l’eau fumante sur les feuilles qui devaient l’ambrer doucement de leurs parfums.

Cette belle tête pâle, les cils baissés, le front grossi par l’attente, les sourcils froncés, la bouche sérieuse, aperçue à travers la vapeur qui s’élevait de la théière, était d’une beauté presque aussi grandiose et aussi tragique que celle d’une magicienne composant un philtre.

Hélas ! de philtre, elle n’en composait pas… mais elle en avait bu un qui lui semblait amer à cette heure, et qui donnait à son visage la cruelle expression qui l’animait.

« Il ne viendra pas, mon enfant, — dit une des vieilles, la marquise de Flers, — voici qu’il est minuit, et il avait promis d’être ici à dix heures. Il aura été retenu à son cercle par ses amis.

— Peut-être va-t-il venir encore, — répondit la jeune fille d’un ton désespéré, mais au