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illusion sur le compte de cette femme qui en avait empli mon âme. L’avais-je admirée autrefois ! Maintenant, je voyais ses défauts sans compensation. Je ne les admirais plus et j’en souffrais. Vous le savez, marquise, dans les commencements de notre amour, j’avais parfois trouvé charmant tout ce qu’elle avait d’intraitable. Elle me donnait les plaisirs d’imagination que recherchent les poètes et les anxiétés aimées des joueurs. Avec elle et subjugué comme je l’étais, je me sentais bondir au cœur un peu de l’émotion avec laquelle joutait l’âme de Jean Bart quand il allumait fièrement sa pipe sur un tonneau de poudre défoncé. À chaque minute qui passait, à chaque baiser, j’avais à craindre une brouillerie éternelle, car je ne dominais pas assez cette capricieuse tête de fer pour qu’elle ne s’arrachât pas à ce qu’elle appelait quelquefois mon joug. J’avais entendu parler à des officiers français du genre de bonheur qu’ils goûtèrent, lors de la guerre de 1809, en Espagne, dans les bras de ces Espagnoles acharnées qui, la veille, leur envoyaient des balles, et qui devaient leur en envoyer le lendemain… À présent, j’étais blasé sur ce genre d’émotion. Je n’y étais plus accessible. D’un autre côté, pendant longtemps aussi elle avait été jalouse, et son extravagante jalousie avait produit les luttes les