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et je m’associais si bien à toutes ses sensations, que je résolus de lui obéir.

« Il y a quelque part de l’autre côté de Trieste, sur les bords de l’Adriatique, une place déserte, indifférente à ceux qui passent, mais qui me sera éternellement sacrée. C’est là que nous brûlâmes notre enfant, cet enfant né de l’amour, élevé par l’amour, et mort dans l’amour de ceux qui lui avaient donné la vie. J’avais avec de l’argent et d’instantes prières obtenu toutes les permissions de qui aurait pu s’opposer à une cérémonie si nouvelle. Elle eut lieu la nuit, obscurément, et n’eut d’autres témoins que quelques serviteurs fidèles, Vellini et moi. J’avais fait construire un bûcher de pins sur le rivage. C’est là que Vellini déposa de ses propres mains le corps de sa Niña tant aimée, de notre petite Juanita. Elle l’avait apportée dans sa voiture, la tenant sur elle, comme si elle vivait. Elle l’avait revêtue d’un de ces costumes imaginés par elle et qui seyaient le plus à la beauté de cette enfant, déjà fière et sombre. Vellini, plus pâle et plus sombre encore que ce cadavre qu’elle portait entre ses bras passionnés, la coucha sur le lit funèbre. Je la vis, à la lueur de nos torches, embrasser une dernière fois cette bouche violette et glacée dans laquelle elle eût coulé des torrents de vie si la mort n’était plus forte que