Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettant sa magnifique et calme et bonne création sous leurs mains, sous leurs pieds, dans leurs bras ?… Allez, j’ai connu des imaginations si déréglées et si charnelles qu’elles sentaient le fouet de feu du désir en regardant les cils baissés des Vierges de Raphaël. Fallait-il que Raphaël s’arrêtât pour éviter ce danger et qu’il jetât au feu sa Vierge d’Albe, sa Vierge à la Chaise, et tous ses chefs-d’œuvre de pureté, apothéoses vingt fois recommencées de la Virginité humaine ? À certaines gens, tout n’est-il pas achoppement, occasion de chute ?… L’Art doit-il expirer vaincu par des considérations à hauteur d’appui pour toutes les défaillances ? Doit-on le remplacer par un système préventif de haute prudence qui ne permette rien de tout ce qui peut être dangereux, c’est-à-dire, en définitive, rien de rien ?

L’artiste crée, en reproduisant les choses que Dieu a faites et que l’homme fausse et bouleverse. Quand il les a reproduites exactement, lumineusement, il a, cela est certain, comme artiste, toute la moralité qu’il doit avoir. Si on a l’esprit juste et pénétrant, on peut toujours tirer de son œuvre, désintéressée de tout ce qui n’est pas la vérité, l’enseignement, parfois contenu, qu’elle enveloppe. Je sais bien qu’on sera quelquefois obligé de creuser avant, mais les artistes écrivent pour leurs pairs, ou du moins pour