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sourire incisif dont il comprit la raillerie.

— Ah ! le baiser de tout à l’heure ! — fit-il. — Mais n’ai-je pas dit que je sais ta puissance, ta puissance inouïe par moments, invincible, étrange, inexplicable, qui n’est pas l’amour, qui n’est même pas le souvenir de l’amour ? C’est cela même que je veux fuir, Vellini. Je ferai mieux que ce sultan qui mettait un sabre entre lui et sa maîtresse. Je mettrai entre nous l’absence, — le meilleur glaive qu’il y ait pour couper tous les liens du cœur.

— Eh bien, puisses-tu dire vrai, après tout ! — s’écria-t-elle. — Puissions-nous vivre éloignés, toi heureux, et moi du moins libre ! Nous ne devions pas nous aimer, tu le sais ; tant qu’il a duré, notre amour n’a produit qu’orages, — des ivresses folles et des angoisses infinies. Quand il a cessé, il nous est resté les angoisses ; et si d’anciennes et d’incompréhensibles ivresses les ont parfois traversées, ah ! que nous les avons maudites ! Quelle vie, mon Dieu, nous avons menée ! rien entre nous n’a été paisible. Tout a été trouble, querelle, insomnie. Pourquoi, Ryno, nous aimions-nous ? Nos âmes se choquaient à travers les embrassements de nos corps. Elles se ressemblaient trop. Je suis aussi fière que toi, aussi impérieuse que toi. C’est peut-être ce qui explique cette trop longue intimité agitée et cruelle ;