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sance, Vellini ; mais j’aime cette enfant chaste et charmante, fille d’un monde défiant et qui cependant s’est confiée. Je ne saurais l’exposer à souffrir des douleurs immenses pour prix de m’avoir aimé et choisi.

— C’est bien, — dit-elle ; — c’est noble et loyal à toi, que de penser cela. Mais combien as-tu aimé de femmes depuis dix ans pour te donner le droit de croire à la durée des mouvements les plus généreux de ton cœur ?

— Ah ! — répondit Marigny avec une profondeur exaltée, — je n’ai jamais aimé personne comme elle, pas même toi, Vellini, pas même toi ! Les sentiments que tu faisais bouillonner dans mon cœur à vingt ans, elle les a fait renaître dans un cœur de trente, vieux et usé. Elle a ressuscité en moi la faculté d’aimer et elle l’a rendue aussi fraîche, aussi abondante, aussi pleine que dans les premiers moments de la jeunesse et de la vie. Non ! je n’ai jamais aimé personne d’un pareil amour. Les sens, l’imagination, le caprice, les besoins du cœur qui ne meurent pas tous le même jour, m’ont entraîné de bien des côtés différents. Mais je gardais toujours une partie de moi-même. C’était cette moitié qui te revenait, Vellini ! Aujourd’hui, tout retour devient impossible. Hermangarde m’a tout entier.

— Jurerais-tu de cela ? — dit-elle avec un