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« Oui, je te déteste ! — reprit-elle, toute pâle de ce baiser convulsif. — Je te hais comme tout être fier, fait pour être libre, doit haïr la destinée qui l’opprime. Tu es la mienne depuis si longtemps ! Le seras-tu toujours ? N’y aura-t-il pas un moment dans la vie où tombera la chaîne que je porte ?

— Crois-moi, Vellini, il y en aura un ! » reprit Marigny sans étonnement, sans colère.

Couple étrange qui parlait ainsi, avec des lèvres qui venaient de se joindre, — plus fabuleux, à ce qu’il semblait, que les monstres sur le dos desquels il était assis !

« Ah ! je ne te crois pas, — fit-elle ; — n’ai-je pas essayé cent fois de m’affranchir entièrement de toi ? Toi aussi, n’as-tu pas essayé de mettre en pièces ce lien funeste ? Avons-nous pu jamais, Ryno ? N’est-il pas resté sur nous, autour de nous, en nous, comme les nœuds redoublés d’un serpent ? Rien n’y a fait. Ni la douleur venue par toi, ni le bonheur venu par les autres. J’ai bien souffert de ton abandon, quand tu m’as quittée pour des femmes plus jeunes et plus belles ; mais enfin je me suis consolée. J’ai aimé aussi, ou du moins j’ai tâché d’aimer aussi de mon côté comme tu aimais. Eh bien, cette liaison brisée s’est toujours renouée pour se briser et se renouer encore ! Était-ce caprice ? Était-ce habitude ?