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citeurs, n’espérant pas y réchauffer la vie, mais agissant comme si je l’espérais ! Et ce fut sur ce corps glacé qu’une idée, qui ne s’était pas dégagée du chaos dans lequel la bouleversante mort subite d’Alberte m’avait jeté, m’apparut nettement… et que j’eus peur !

« Oh !… mais une peur… une peur immense ! Alberte était morte chez moi, et sa mort disait tout. Qu’allais-je devenir ? Que fallait-il faire ?… À cette pensée, je sentis la main, la main physique de cette peur hideuse, dans mes cheveux qui devinrent des aiguilles ! Ma colonne vertébrale se fondit en une fange glacée, et je voulus lutter — mais en vain — contre cette déshonorante sensation… Je me dis qu’il fallait avoir du sang-froid… que j’étais un homme après tout… que j’étais militaire. Je me mis la tête dans mes mains, et quand le cerveau me tournait dans le crâne, je m’efforçai de raisonner la situation horrible dans laquelle j’étais pris… et d’arrêter, pour les fixer et les examiner, toutes les idées qui me fouettaient le cerveau comme une toupie cruelle, et qui toutes allaient, à chaque tour, se heurter à ce cadavre qui était chez moi, à ce corps inanimé d’Alberte qui ne pouvait plus regagner sa chambre, et que sa mère devait retrouver le lendemain dans la chambre de l’officier, morte et déshonorée ! L’idée de cette mère, à laquelle j’avais