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facteur passât par la maison… Dans cette heure-là je disais dix fois à la vieille Olive, d’une voix étranglée : « Y a-t-il des lettres pour moi, Olive ? » laquelle me répondait imperturbablement toujours : « Non, monsieur, il n’y en a pas. » Ah ! l’agacement finit par être trop aigu ! Le désir trompé devint de la haine. Je me mis à haïr cette Alberte, et, par haine de désir trompé, à expliquer sa conduite avec moi par les motifs qui pouvaient le plus me la faire mépriser, car la haine a soif de mépris. Le mépris, c’est son nectar, à la haine ! « Coquine lâche, qui a peur d’une lettre ! » me disais-je. Vous le voyez, j’en venais aux gros mots. Je l’insultais dans ma pensée, ne croyant pas en l’insultant la calomnier. Je m’efforçai même de ne plus penser à elle que je criblais des épithètes les plus militaires, quand j’en parlais à Louis de Meung, car je lui en parlais ! car l’outrance où elle m’avait jeté avait éteint en moi toute espèce de chevalerie, — et j’avais raconté toute mon aventure à mon brave Louis, qui s’était tirebouchonné sa longue moustache blonde en m’écoutant, et qui m’avait dit, sans se gêner, car nous n’étions pas des moralistes dans le 27e :

« — Fais comme moi ! Un clou chasse l’autre. Prends pour maîtresse une petite cousette de la ville, et ne pense plus à cette sacrée fille-là ! »