Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/459

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans l’exécrable vie que je mène, quand le dégoût m’y prend, quand la boue m’en monte à la bouche et m’étouffe, quand le génie de la vengeance faiblit en moi, que l’ancienne duchesse revient et que la fille m’épouvante, je m’entortille dans cette robe, je vautre mon corps souillé dans ses plis rouges, toujours brûlants pour moi, et j’y réchauffe ma vengeance. C’est un talisman que ces haillons sanglants ! Quand je les ai autour du corps, la rage de le venger me reprend aux entrailles, et je me retrouve de la force, à ce qu’il me semble, pour une éternité ! »

Tressignies frémissait, en écoutant cette femme effrayante. Il frémissait de ses gestes, de ses paroles, de sa tête, devenue une tête de Gorgone : il lui semblait voir autour de cette tête les serpents que cette femme avait dans le cœur. Il commençait alors de comprendre — le rideau se tirait ! — ce mot vengeance, qu’elle disait tant, — qui lui flambait toujours aux lèvres !

« La vengeance ! oui, — reprit-elle, — vous comprenez, maintenant, ce qu’elle est, ma vengeance ! Ah ! je l’ai choisie entre toutes comme on choisit de tous les genres de poignards celui qui doit faire le plus souffrir, le cric dentelé qui doit le mieux déchirer l’être abhorré qu’on tue. Le tuer simplement, cet homme, et d’un