Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/445

Cette page a été validée par deux contributeurs.

première fois, au feu brûlant où il avait bu à pleines gorgées. En se révélant, la duchesse avait emporté jusqu’à la courtisane ! Il n’y avait plus ici, pour lui, que la duchesse ; mais dans quel état ! souillée, abîmée, perdue, une femme à la mer, tombée de plus haut que du rocher de Leucade dans une mer de boue, immonde et dégoûtante à ne pouvoir l’y repêcher. Il la fixait d’un œil hébété, assise droite et sombre, métamorphosée, et tragique ; de Messaline, changée tout à coup il ne savait en quelle mystérieuse Agrippine, sur l’extrémité du canapé où ils s’étaient vautrés tous deux ; et l’envie ne le prenait pas de la toucher du bout du doigt, cette créature dont il venait de pétrir, avec des mains idolâtres, les formes puissantes, pour s’attester que c’était bien là ce corps de femme qui l’avait fait bouillonner, — que ce n’était pas une illusion, — qu’il ne rêvait pas, — qu’il n’était pas fou ! La duchesse, en émergeant à travers la fille, l’avait anéanti.

— Oui, — lui dit-il, d’une voix qu’il s’arracha de la gorge où elle était collée, tant ce qu’il avait entendu l’avait strangulé ! — je vous crois (il ne la tutoyait déjà plus !), car je vous reconnais. Je vous ai vue à Saint-Jean-de-Luz, il y a trois ans.

À ce nom rappelé de Saint-Jean-de-Luz, une clarté passa sur le front qui venait pour lui de