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bien que ce fût un grand d’Espagne, car il avait au cou le collier de la Toison-d’Or.

— Où as-tu pris cela ? — fit Tressignies, qui pensa : Elle va me faire un conte. Elle va me débiter la séduction d’usage, le roman du premier, l’histoire connue qu’elles débitent toutes…

— Pris ! — repartit-elle, révoltée. — C’est bien lui, por dios, qui me l’a donné !

— Qui, lui ? ton amant, sans doute ? — dit Tressignies. — Tu l’auras trahi. Il t’aura chassée, et tu auras roulé jusqu’ici.

— Ce n’est pas mon amant, — fit-elle froidement, avec l’insensibilité du bronze, à l’outrage de cette supposition.

— Peut-être ne l’est-il plus, — dit Tressignies. — Mais tu l’aimes encore : je l’ai vu tout à l’heure dans tes yeux.

Elle se mit à rire amèrement.

— Ah ! tu ne connais donc rien ni à l’amour, ni à la haine ? — s’écria-t-elle. — Aimer cet homme ! mais je l’exècre ! C’est mon mari.

— Ton mari !

— Oui, mon mari, — fit-elle, — le plus grand seigneur des Espagnes, trois fois duc, quatre fois marquis, cinq fois comte, grand d’Espagne à plusieurs grandesses, Toison-d’Or. Je suis la duchesse d’Arcos de Sierra-Leone.

Tressignies, presque terrassé par ces incroyables paroles, n’eut pas le moindre doute