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doutez bien, après cela, des oremus qu’ils adressaient à Dieu, quand ils en parlaient, car s’ils n’y croyaient pas, d’autres y croyaient : leurs ennemis ! et c’était assez pour maugréer, blasphémer et canonner dans leurs discours tout ce qu’il y a de saint et de sacré parmi les hommes. Mesnilgrand disait d’eux un soir, en les regardant autour de la table de son père, et aux lueurs d’un punch gigantesque : « qu’on en monterait un beau corsaire ! » — « Rien n’y manquerait, — ajoutait-il, en guignant deux ou trois défroqués, mêlés à ces soldats sans uniforme, — pas même des aumôniers, si c’était là une fantaisie de corsaires que des aumôniers ! » Mais, après la levée du blocus continental et l’époque folle de paix qui suivit, si ce ne fut pas le corsaire qui manqua, ce fut l’armateur.

Eh bien ! ces convives du vendredi, qui scandalisaient hebdomadairement la ville de ***, vinrent, suivant leur usage, dîner à l’hôtel Mesnilgrand le vendredi en suivant le dimanche où Mesnil avait été si brusquement appréhendé dans l’église par un de ses anciens camarades, étonné et furieux de l’y voir. Cet ancien camarade était le capitaine Rançonnet, du 8e dragons, lequel, par parenthèse, arriva un des premiers au dîner de ce jour-là, n’ayant pas revu Mesnilgrand de toute la semaine et n’ayant pu encore digérer sa visite à l’église