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le chevalier de Mesnilgrand avait, sous son costume moderne, l’air perdu qu’on retrouve dans certains majestueux portraits de famille. « C’est un portrait qui marche », — disait encore une jeune fille qui le voyait entrer dans un salon pour la première fois. D’ailleurs, Mesnilgrand couronnait tous ces avantages par un avantage supérieur à tous les autres, aux yeux de ces fillettes : il était toujours divinement mis. Était-ce là une dernière coquetterie de sa vie d’homme à femmes, à ce désespéré, et qui survivait à cette vie finie, enterrée, comme le soleil couché envoie un dernier rayon rose au flanc des nuages derrière lesquels il a sombré ?… Était-ce un reste du luxe satrapesque, étalé autrefois par cet officier de Chamboran qui avait fait payer au vieil avare, son père, quand son régiment fut licencié, vingt mille francs seulement de peaux de tigre pour ses chabraques et ses bottes rouges ? Mais, le fait est qu’aucun jeune homme de Paris ou de Londres ne l’eût emporté par l’élégance sur ce misanthrope, qui n’était plus du monde, et qui, pendant les trois mois de son séjour à ***, ne faisait que quelques visites, et puis après n’en faisait plus.

Il y vivait, comme à Paris, livré à sa peinture jusqu’à la nuit. Il se promenait peu dans cette ville propre et charmante, à l’aspect rêveur,