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pas seulement de naissance, de caste, de rang social ; il l’était de nature, comme il était lui, et pas un autre, et comme il l’eût été encore, aurait-il été le dernier cordonnier de sa ville, Il l’était enfin, comme dit Henri Heine, « par sa grande manière de sentir », et non point bourgeoisement, à la façon des parvenus qui aiment les distinctions extérieures. Il ne portait pas ses décorations. Son père, le voyant à la veille de devenir colonel, quand s’écroula l’Empire, lui avait constitué un majorat de baron ; mais il n’en prit jamais le titre, et, sur ses cartes et pour tout le monde, il ne fut que « le chevalier de Mesnilgrand ». Les titres, vidés des privilèges politiques dont ils étaient bourrés autrefois, et qui en faisaient de vraies armes de guerre, ne valaient pas plus à ses yeux que des écorces d’orange quand l’orange n’y est plus, et il s’en moquait bien, même devant ceux qui les respectaient. Il en donna la preuve, un jour, dans cette petite ville de ***, entichée de noblesse, où les anciens seigneurs terriens du pays, ruinés et volés par la Révolution, avaient, peut-être pour se consoler, l’inoffensive manie de s’attribuer entre eux des titres de comte et de marquis, que leurs familles très anciennes, et n’ayant nul besoin de cela pour être très nobles, n’avaient jamais portés. Mesnilgrand, qui trouvait cette usur-