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Il ajoutait même, après avoir bu, qu’il faisait tout dans ces proportions-là, et c’était vrai ! Mais dans un temps où la force, sous toutes les formes, s’en va diminuant, on trouvera peut-être qu’il n’y a pas de quoi être fat. Il l’était à la façon de Bassompierre, et il portait le vin comme lui. Je l’ai vu sabler douze coups de son verre de Bohême, et il n’y paraissait même pas ! Je l’ai vu souvent encore, dans ces repas que les gens décents traitent « d’orgies », et jamais il ne dépassait, après les plus brûlantes lampées, cette nuance de griserie qu’il appelait, avec une grâce légèrement soldatesque, « être un peu pompette », en faisant le geste militaire de mettre un pompon à son bonnet. Moi, qui voudrais vous faire bien comprendre le genre d’homme qu’il était, dans l’intérêt de l’histoire qui va suivre, pourquoi ne vous dirai-je pas que je lui ai connu sept maîtresses, en pied, à la fois, à ce bon braguard du xixe siècle, comme l’aurait appelé le xvie en sa langue pittoresque. Il les intitulait poétiquement « les sept cordes de sa lyre », et, certes, je n’approuve pas cette manière musicale et légère de parler de sa propre immoralité ! Mais, que voulez-vous ? Si le capitaine vicomte de Brassard n’avait pas été tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, mon histoire serait moins piquante, et probablement n’eussé-je pas pensé à vous la conter.