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partner du marquis de Saint-Albans la personne qui jouait en face de M. Hartford était la comtesse du Tremblay de Stasseville, dont la fille Herminie, la plus suave fleur de cette jeunesse qui s’épanouissait dans les embrasures du salon, parlait alors à Mlle Ernestine de Beaumont. Par hasard, les yeux de Mlle Herminie se trouvaient dans la direction de la table où jouait sa mère.

« — Regardez, Ernestine, — fit-elle à demi-voix, — comme cet Écossais donne !

« M.  de Karkoël venait de se déganter. Il avait tiré de leur étui de chamois parfumé, des mains blanches et bien sculptées, à faire la religion d’une petite maîtresse qui les aurait eues, et il donnait les cartes comme on les donne au whist, une à une, mais avec un mouvement circulaire d’une rapidité si prodigieuse, que cela étonnait comme le doigté de Liszt. L’homme qui maniait les cartes ainsi devait être leur maître… Il y avait dix ans de tripot dans cette foudroyante et augurale manière de donner.

« — C’est la difficulté vaincue dans le mauvais ton, — dit la hautaine Ernestine, de sa lèvre la plus dédaigneuse, — mais le mauvais ton est vainqueur !

« Dur jugement pour une si jeune demoiselle ; mais, avoir bon ton était plus pour cette