Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

baronne en caressant la tête de sa fille, si prématurément pensive. — Si elle a peur, elle a la ressource de ceux qui ont peur : elle a la fuite ; elle peut s’en aller.

Mais la capricieuse fillette, qui avait peut-être autant d’envie de l’histoire que madame sa mère, ne fuit pas, mais redressa son maigre corps, palpitant d’intérêt effrayé, et jeta ses yeux noirs et profonds du côté du narrateur, comme si elle se fût penchée sur un abîme.

— Eh bien ! contez, — dit Mlle Sophie de Revistal, en tournant vers lui son grand œil brun baigné de lumière, et qui est si humide encore, quoiqu’il ait pourtant diablement brillé. — Tenez, voyez ! — ajouta-t-elle avec un geste imperceptible, — nous écoutons tous.

Et il raconta ce qui va suivre. Mais pourrai-je rappeler, sans l’affaiblir, ce récit, nuancé par la voix et le geste, et surtout faire ressortir le contre-coup de l’impression qu’il produisit sur toutes les personnes rassemblées dans l’atmosphère sympathique de ce salon ?

« J’ai été élevé en province, — dit le narrateur, mis en demeure de raconter, — et dans la maison paternelle. Mon père habitait une bourgade jetée nonchalamment les pieds dans l’eau, au bas d’une montagne, dans un pays que je ne nommerai pas, et près d’une petite ville qu’on reconnaîtra quand j’aurai dit