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service de la comtesse de Savigny, qui aimait son mari et qui devait en être jalouse. Mais, outre que les patriciennes de V…, aussi fières pour le moins que les femmes des paladins de Charlemagne, ne supposaient pas (grave erreur ; mais elles n’avaient pas lu le Mariage de Figaro !) que la plus belle fille de chambre fût plus pour leurs maris que le plus beau laquais n’était pour elles, je finis par me dire, en quittant l’étrier, que la comtesse de Savigny avait ses raisons pour se croire aimée, et qu’après tout ce sacripant de Savigny était bien de taille, si le doute la prenait, à ajouter à ces raisons-là.

— Hum ! — fis-je sceptiquement au docteur, que je ne pus m’empêcher d’interrompre, — tout cela est bel et bon, mon cher docteur, mais n’ôtait pas à la situation son imprudence.

— Certes, non ! — répondit-il ; — mais, si c’était l’imprudence même qui fît la situation ? — ajouta ce grand connaisseur en nature humaine. — Il est des passions que l’imprudence allume, et qui, sans le danger qu’elles provoquent, n’existeraient pas. Au xvie siècle, qui fut un siècle aussi passionné que peut l’être une époque, la plus magnifique cause d’amour fut le danger même de l’amour. En sortant des bras d’une maîtresse, on risquait d’être poignardé ; ou le mari vous empoisonnait dans le manchon de sa