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loin et à distance. J’arrivais alors à V…, et j’ai été souvent le témoin de ces curiosités ardentes. La Pointe-au-corps, qui avait, sous l’Empire, servi dans les hussards, et qui, avec sa salle d’armes, gagnait gros d’argent, s’était permis d’acheter un cheval pour donner des leçons d’équitation à sa fille ; et comme il dressait aussi à l’année de jeunes chevaux pour les habitués de sa salle, il se promenait souvent à cheval, avec Hauteclaire, dans les routes qui rayonnent de la ville et qui l’environnent. Je les y ai rencontrés maintes fois, en revenant de mes visites de médecin, et c’est dans ces rencontres que je pus surtout juger de l’intérêt, prodigieusement enflammé, que cette grande jeune fille, si hâtivement développée, excitait dans les autres jeunes filles du pays. J’étais toujours par voies et chemins en ce temps-là, et je m’y croisais fréquemment avec les voitures de leurs parents, allant en visite, avec elles, à tous les châteaux d’alentour. Eh bien, vous ne pourrez jamais vous figurer avec quelle avidité, et même avec quelle imprudence, je les voyais se pencher et se précipiter aux portières dès que Mlle Hauteclaire Stassin apparaissait, trottant ou galopant dans la perspective d’une route, brodequin à botte avec son père. Seulement, c’était à peu près inutile ; le lendemain, c’étaient presque toujours des déceptions et