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savent vieillir, une de celles qu’on voudrait pour mère, quand on n’a plus la sienne. »

Mme Thillard s’assit au piano et Max accorda son violon ; ils jouèrent une des grandes sonates de Beethoven pour ces deux instruments. Destroy avait une manière large et une vigueur qui naturellement nuisaient beaucoup au fini de son exécution. Mais il avait un mérite rare : celui de sentir et de s’identifier à ce point avec son violon, qu’il semblait que l’instrument fît partie intégrante de lui-même. Bien que la façon tout exceptionnelle dont il interpréta l’andante manquât de ces tatillonnages prémédités qui mettent l’instrumentiste au niveau d’un bateleur de haut goût, il n’en fit pas moins sur Mme Thillard la plus vive impression.

« Quelle magnifique chose ! » s’écria-t-elle avec enthousiasme.

L’âme de Max débordait de rêveries.

« Oui, fit-il à mi-voix, cet homme est le vrai poète de notre époque, On jurerait qu’il a prévu nos déchirements et composé en vue de nos misères. J’imagine que, dans le principe, à côté du calme et profond Haydn, il devait paraître singulièrement turbulent et ténébreux. Ses œuvres sont aujourd’hui une source inépuisable de consolations à la hauteur des calamités qui pèsent sur nous. Heureux qui les admirent autrement que sur parole ! Il l’a dit lui-même : « Celui qui sentira pleinement ma