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« Ce n’est rien encore. Au lieu de dormir, souvent je me lève ; comme un fantôme, j’erre à travers les rues, je gagne les champs, je vais m’asseoir dans quelque endroit écarté. Les millions d’étoiles qui émergent dans l’espace me semblent autant d’yeux fixés sur moi, et je courbe honteusement la tête : le front dans les mains, en dépit de moi-même, je me recueille, je plonge dans le passé, je reconstruis la chaîne de mes idées et de mes actions. A ces ressouvenirs se mêlent, comme autant de voix qui m’accusent, me maudissent, les bruissements des arbres et des herbes, les hurlements lugubres des chiens. Ces bruits s’enflent graduellement et prennent les proportions d’une tempête. Glacé de terreur, je me dresse ; un cercle de spectres hideux dansent autour de moi, remplissent mon oreille de cris sauvage, déchirent ma chair de leurs griffes. Trop robuste pour perdre connaissance, je suis sans force pour fuir, et je dois endurer ce supplice jusqu’à l’heure où l’hallucination m’abandonne, de guerre lasse sans doute.

« Voilà mon existence. Vous voyez jusqu’à quel point elle est horrible. Eh bien, je n’aspire qu’à souffrir encore plus. Ah ! que je rende vingt yeux pour un œil, vingt dents pour une dent, mais que je périsse une fois, que mon corps soit la pâture des vers et qu’enfin je connaisse le repos de la mort !… »