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FEUILLETON DU CANARD

CONTE FANTASTIQUE.


I.

LA NUIT LES CHATS SONT GRIS.


Huit heures sonnaient aux horloges de la ville de Champlain.

Je dis aux horloges, les clochers n’ayant pas de cadrans comme à Paris.

Il faisait une nuit sombre.

Le temps était froid ; de gros nuages noirs assombrissaient le ciel.

Des ombres frileuses passaient rapidement sur les trottoirs de la rue St. Jean.

Je sortais du « Chien d’Or. » Buies m’avait payé un verre de cognac, j’avais allumé un cigare, et j’étais sorti.

Je m’attendais à quelque chose d’extraordinaire pour ce soir là.

Mon attente ne fut pas trompée.


II.

OÙ L’ON ENTREVOIT LE HÉROS DE CETTE VÉRIDIQUE HISTOIRE.


J’ai dit que le temps était froid, mais je n’avais pas froid.

Avec un bon verre de cognac dans l’estomac et un cigare de la Havane aux lèvres, on peut aller loin.

En descendant la rue de la Fabrique, je vis une ombre tout de noir habillée longer majestueusement les maisons.

Je la suivis.

Elle portait un chapeau à haute forme, un habit noir affreusement râpé, des pantalons très-courts, des bottes aculées ; elle paraissait courbée sous le poids de la misère et de l’infortune.

Je m’intéressai à cette ombre étrange.


III.

OÙ L’OMBRE PARLE.


L’ombre passa la porte St. Jean, longea la rue St. Jean jusqu’à la rue Ste. Geneviève, et descendit la rue Ste. Geneviève jusqu’à la rue de la Tourelle.

Là elle s’arrêta.

— Je m’arrêtai, croyant pouvoir la reconnaître.

Oh ! l’ami, lui dis-je.

— Que me voulez-vous ? demanda-t-elle d’un air froid.