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lure, et qui conquiert comme un dieu les mondes et les étoiles. Bonhomme s’il en fut, le montreur de ce spectacle, où tout est représenté, renvoie naïvement les images qui se sont reflétées en lui, et il atteste qu’un homme de génie peut, sans en être ni troublé, ni orgueilleux, contenir l’univers entier dans son cerveau, et tout entier le reproduire avec la parole, qui est plus grande à elle seule que la création monstrueuse. N’est-il pas un Gaulois, comme ce Rabelais qui a eu l’étoffe de dix Homères, et qui dans la paume de sa main de géant fait jouer les Olympes et leurs habitants, comme de petits acteurs sculptés par caprice ? Il est Gaulois, et il en profitera pour garder le masque naïf et railleur, pour ne s’embarquer ni dans les grands mots, ni dans les grandes phrases, pour rester gai comme l’alouette, fin comme la vigne poussée en pleine pierre à fusil, spirituel comme on est forcé de l’être quand on se voit depuis cinq cents ans ruiné par la dîme et par la gabelle, berné par le curé et par le seigneur, roué par le juge qui toujours avale l’huître et toujours vous tend gravement la même écaille, sans avoir autre chose pour se consoler qu’un petit bout de chanson ! Cette petite chanson de la France, c’est ce qui fait laloi au monde entier, c’est ce qui enfante le présent et l’avenir; mieux que personne La Fontaine l’a