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prit français, le moyen âge, Marot, Rabelais, Ronsard lui-même et tout ce xvie siècle que, pareil à Camoëns, La Fontaine tenait élevé dans sa main, combattant de l’autre le flot envahissant ! Sans doute il portait seul la destinée de nos conteurs, de nos poëtes épiques, de toute notre vieille France, et à la même heure il est le seul fils légitime d’Homère, car lui seul écrivait en ce temps-là le Lion terreur des forêts, le Héron au long bec, Phébus aux crins dorés, mêlant au style familier la grande épithète homérique, et donnant ces grands vers coulés d’un seul jet qui ne furent retrouvés que deux cents ans plus tard, tels que : La femme du lion mourut, ou Nous ne conversons plus qu’avec des ours affreux ! Racine, ni Boileau n’auraient fait dire à Progné : Depuis le temps de Thrace, car ils demandaient aux tragédies le sens de l’antiquité que La Fontaine va chercher à la source même, à la grande source épique. Mais qui peut relire le Loup et l’Agneau, Les Deux Amis, Le Chêne et le Roseau, Le Paysan du Danube, sans être touché du côté grandiose qui domine chez La Fontaine, et n’est-on pas tenté d’appliquer à son œuvre même le portrait de l’arbre démesuré,


………de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à Tempire des morts ?