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voir partir de ce principe : qu’il n’est pas plus raisonnable de donner pour modèle en Poésie le plus ancien poème connu, qu’il le serait de donner pour modèle en Horlogerie la première machine à rouage et à ressort, quelque mérite qu’on doive attribuer aux inventeurs de l’un et de l’autre. » C’était partir d’un mauvais principe, et le côté faible de la comparaison, c’est que l’invention épique ne progresse pas comme l’art de fabriquer des horloges, et n’existe qu’à la condition d’être spontanée et inconsciente. Si donc un poëte veut tenter d’écrire aujourd’hui une œuvre épique, il devra abolir son raisonnement et retrouver son instinct, en un mot redevenir un homme primitif, se refaire naïf et religieux dans les idées mêmes du peuple dont il adopte la légende, et laisser fleurir, en dehors des conventions modernes, l’héroïsme qu’il porte en lui, comme tout poëte.

C’est ce qu’a fait dans La Légende des siècles Victor Hugo, parcourant, des âges bibliques à l’époque moderne, toutes les religions et toutes les civilisations, se mettant toujours non à son pointde vue, mais à celui des héros qu’il ressuscite, et retrouvant en lui-même leur héroïsme et leur foi naïve. C’est ce qu’a fait Leconte de Lisle dans plusieurs de ses Poëmes Barbares, et sur-