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l’œil enflammé de l’oiseau. Chénier ne pouvait rien demandera la tradition française, elle était morte et déjà pourrie ; il trouve son inspiration chez nos grands aïeux grecs et latins, et avec lui la musique du vers se réveille, ferme, ondoyante et sonore :


« Dieu dont l’arc est d’argent, dieu de Claros, écoute,
« Ô Sminthée-Apollon, je périrai sans doute,
« Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant. »
C’est ainsi qu’achevait l’aveugle en soupirant,
Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre
S’asseyait. Trois pasteurs, enfants de cette terre,
Le suivaient, accourus aux abois turbulents
Des molosses, gardiens de leurs troupeaux bêlants.
Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète,
Protégé du vieillard la faiblesse inquiète ;
Ils l’écoutaient de loin ; et s’approchant de lui :
« Quel est ce vieillard blanc, aveugle et sans appui ?
« Serait-ce un habitant de l’empire céleste ?
« Ses traits sont grands et fiers ; de sa ceinture agreste
« Pend une lyre informe ; et les sons de sa voix
« Émeuvent l’air et l’onde, et le ciel, et les bois. »

André Chénier. L’Aveugle. Idylles, ii.


Ainsi André Chénier avait reconquis le vers français, et encore une fois chassé les idiots du temple. C’était un crime, et on sait qu’il le paya de sa tête.

Non que son alexandrin soit parfait encore : on y trouve la phrase hachée, l’abus de l’épithète à la rime, et parfois enfin la vieille périphrase,