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un patron unique, mais hébétés, solennels, et s’en allant, selon le mot de Musset,


Comme s’en vont les vers classiques et les bœufs.


Voltaire, grand homme et poëte détestable, prêta à la plus vide et à la plus sotte des versifications l’appui moral de son génie, si bien que de chute en chute on en arriva à écrire des vers comme ceux-ci :


                                              Je vais te révéler
Des secrets qu’à ta foi je ne puis plus celer ;
Apprends à me connaître : enfin mon âme altière
À tes yeux étonnés va s’ouvrir tout entière.
Tu sais que Sésostris, pour terme à ses exploits,
Résolut d’asservir mon pays à ses lois ;
Issa, tu te souviens de l’affreuse journée
Où Tyr au fer cruel se vit abandonnée.
Tout périt : le vainqueur fit tomber sous ses coups
Mes deux fils au berceau, mon père et mon époux.
Moi-même au sein des morts, faible, pâle et mourante.
J’allais suivre au tombeau ma famille expirante.
Le roi, que ma jeunesse alors semble toucher, etc.

Blin de Sainmore. Orphanis, tragédie. Acte I, Scène I.


Mais, direz-vous, quel est ce Blin de Sainmore ? Je ne l’ai pas choisi, je le prends dans le tas. Tous les poëmes du XVIIIe siècle se ressemblent ; tous font rimer époux et coups, mourante et expirante, et sont faits de vers muets, sourds et endormants. Si vous n’avez pas de confiance dans