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dix heures du matin, coiffée, habillée et emboîtée dans un corset de fer, tu sois rendue à un théâtre enveloppé de poussière et de nuit, pour y ânonner une prose incompréhensible, copiée par un souffleur qui ne sait pas l’orthographe !

» Quand je venais de répéter la pièce de M. d’Ennery, Henri partait pour aller faire répéter une pièce de lui ; quand il rentrait, je sortais pour aller chez le costumier ; à quatre heures, quand je dînais, il allait à l’imprimerie !

» L’imprimerie, encore un enfer. Certes, il y a quelque chose de vertigineux dans l’aspect d’un théâtre ; ces machines, ces poulies, ces câbles étonnent et épouvantent, et l’envers de la féerie est mille fois plus effrayant que la féerie vue de la salle. Mais qu’est-ce auprès d’une imprimerie ? En voyant les longues chaînes de fer qui pendent, les larges pierres qui semblent faites pour y coucher des cadavres, et ces casses où les doigts fébriles cherchent des signes cabalistiques ; en regardant surtout marcher ces immenses cylindres au mouvement furieux, on comprend que, dans ces antres de magie, il se mange des cœurs et des âmes.

» Je n’ai vu qu’une seule fois une imprimerie, mais, ce jour-là, j’ai senti que nous étions condamnés ! Et nous l’étions en effet, condamnés à ces roues, à ces poulies, à ces cylindres, à cette encre infecte, condamnés à l’insomnie, au labeur stérile, aux raccords, aux régisseurs, aux mises en scène, aux trappes de féerie, aux gloires de toiles peintes, à tout ce qui est le carton de la vie et de la gloire ! nous qui aimions tant la sainte poésie, la douce musique, et les gazons et les fontaines, et l’amour qui fait tout comprendre !

» Quelquefois, nous nous rencontrions une minute lui