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X

L’ACTRICE EN MÉNAGE


— lucie chardin —


Hier soir, il y avait, dans un des moins mauvais salons de la Chaussée-d’Antin, une de nos perles parisiennes les plus exquises, madame Lucie Chardin. Cette jeune femme, qui est veuve pour la seconde fois avant d’avoir atteint sa trentième année, semble un portrait de M. Ingres, animé par quelque magie ; rien ne saurait dire la pureté délicate de son regard, ni la pâleur et la transparence nacrée de son visage, extasié comme celui d’une sainte du xiie siècle.

Avant d’épouser le banquier Chardin, qui est mort l’année dernière, victime d’un accident de chemin de fer, elle avait été la femme d’un poëte, de ce pauvre Henri Decan, si prématurément enlevé à sa jeune gloire. Henri avait été entraîné à aimer Lucie Dutour, par l’admiration qu’imposaient une rare beauté, toute mystique, et un talent prodigieux à son aurore : car, à peine âgée de dix-