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impatientée, je voudrais savoir s’ils sont tes amis ou… — Ou… achève ! — Eh bien ! tu m’y forces, ou tes amants ! — Ma foi, ma chère, dit Berthe, toujours affable et pourtant avec une certaine nuance de raillerie, permets-moi de te faire observer que la distinction m’échappe lorsqu’il s’agit d’affection entre des hommes et une femme, mais peut-être ne comprenais-je pas bien le mot dont tu t’es servie ? Veux-tu me demander par là si je dois à l’admiration et à la générosité d’un de ces messieurs la robe que j’ai sur le dos et les bottines que tu me vois aux pieds et le châle de l’Inde que Lucette me tient sur son bras en ce moment-ci ? Si c’est cela, non, Jacqueline, ils ne sont pas mes amants, comme tu dis avec ce pluriel ambitieux ; je paye mes souliers au cordonnier et mes chapeaux à la modiste, comme ma viande au boucher et mon épicerie à mon épicier, avec l’argent que le caissier me compte le premier du mois ! et je suis toute à toi, et la question ne nous brouillera pas, car on ne saurait se brouiller pour des questions qui n’ont aucun sens !

» Il était réservé à une autre occasion de me faire entendre la profession de foi de Berthe. À ce propos, permettez-moi de passer légèrement sur ce qui touche à ma propre vie. J’en étais, vous m’avez tous connue alors, à mon grand désespoir pour ce beau comédien italien qui rappelait la fameuse définition de l’écrevisse, petit poisson rouge qui marche à reculons, si heureusement corrigée par Cuvier à l’Académie française, en ce sens qu’il n’était ni comédien, ni Italien, ni beau surtout. Je me mourais dans ces jolis instants de rage où l’on se casse la tête contre des murs et où l’on arrache à pleines mains de longs cheveux, si cruellement regrettés six mois après. Berthe me consolait comme une sœur avec une douceur