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fer-blanc de M. Granger, il n’y avait au foyer que des femmes. C’était par un de ces premiers jours d’été où les grandes fleurs s’ouvrent, où l’air est comme empli de senteurs amoureuses, et nous sentions toutes peser sur nous une énervante lassitude. — Ma foi, dit mademoiselle R…, partie depuis pour l’Australie, celle qui ne s’avouera pas plus sensible par ces soirs-là qu’au beau temps des bises de décembre, quand les talons des bottines font craquer le givre, ne sera franche qu’à moitié ! — Oui, répondit Laurette, être près d’un de ces beaux lacs bleus que nous avons vus ensemble en courant la Suisse et l’Italie, dans la troupe de M. Meynadier ! Le ciel est d’étoiles, une barque s’arrête au rivage, un jeune homme en descend et vous tend sa main. Il ne vous dit rien, mais à son regard on voit qu’on l’attendait et que c’est bien lui, et on va chanter aux flots harmonieux la Dernière pensée de Weber ! — Moi, murmura Béatrix, je rêve cela plus près de Paris, sous cette noire forêt de Saint-Germain, douce à la tristesse ! On a les bras passés au cou d’un enfant qui vous dit sa dernière chanson sans orchestre et sans musique, et on a l’âme noyée de joie. — Et comme chacun laissait ainsi déborder sa rêverie, Berthe restait silencieuse, et toutes les femmes la regardaient, effrayées en quelque sorte et comme humiliées de son silence ; et mademoiselle R… ne put s’empêcher d’interpeller Berthe : — Vous ne dites rien, Berthe, fit-elle avec une expression de défiance ; voudriez-vous nous faire croire que vous n’avez jamais eu de ces idées-là ? — Non, répondit Berthe très-simplement, moi je les ai toujours. Et elle sortit du foyer avec un pas de déesse.

« Vous devinez que le mot nous avait frappées ! Je l’avouerai, malgré moi et presque à mon insu, je me laissai aller à un espionnage de commis voyageur, tant ma