Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais, et qui restent de marbre sous les baisers. Eh bien ! je sens que je suis une de ces femmes. Oui, je crains d’être une d’elles, et cette idée me remplit d’épouvante. Lorsque Émile était là près de moi et qu’il tenait mes mains dans les siennes, quand ses lèvres effleuraient mon front, ma pensée s’en est allée en mille rêves délicieux, mais aucun frisson n’a passé dans mes veines, mon cœur n’a pas battu, je n’ai pas senti mes mains moites et brûlantes. Moi qui aime Émile à lui donner une à une toutes les gouttes de mon sang, suis-je condamnée, lorsqu’il m’aura nommée sa femme, à n’apporter dans ses bras qu’un cadavre insensible ?

» Je le saurai demain.

— » À ce prix ? demanda Mariette.

— » À tout prix ! dit Valentine, qui, à ce moment-là, fit entrevoir dans un regard l’implacable résolution qu’elle devait montrer depuis. Ce poëte décrit trop bien les joies de l’amour pour ne pas les connaître. Il me conduira dans le paradis enchanté, et alors je saurai bien me purifier d’avoir été infidèle ! et je ne sentirai plus cette douloureuse terreur d’apporter mon désespoir en dot à celui que j’aime. »

Le lendemain Mariette volait chez Valentine.

— « Eh bien ? fit-elle en l’interrogeant avec anxiété.

— » Eh bien ! dit Valentine, je suis une statue et rien ne vit en moi ; mon cœur est comme celui des dieux. Mais si quelqu’un peut l’animer, je trouverai celui-là, dusse-je le chercher comme un grain de sable au milieu des grains de sable de la mer !

— » Oh ! murmura Mariette, je te vois perdue. Pleure plutôt ta faute amèrement, et rappelle Émile. Sois sa femme et vis de l’amitié de cet honnête homme. »

Valentine secoua sa noire chevelure.