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Partout où l’on prononce le nom de Valentine, que ce soit sous les poutres sculptées et dorées ou sous les plafonds blancs et nus, on entend s’éveiller et murmurer un essaim de souvenirs poignants, comme des démons qui fouetteraient l’air de leurs ailes. Parmi les assistants, les uns essuient une de ces larmes brûlantes qui creusent des rides sur le visage, les autres portent la main à leur poitrine comme pour y étancher le sang d’une blessure encore ouverte ; ceux-ci tressaillent, ceux-là baissent vers la terre des regards pleins de regrets et de honte. Car Valentine a été de moitié dans tous les amours qui tuent la foi et la jeunesse de l’âme, et les lustres de toutes les orgies ont baigné son front d’une lumière blafarde, et, depuis sept ans, il n’y a pas eu un verre empli de vin par des mains tremblantes et pâlies dans lequel elle n’ait trempé sa chevelure. L’Agonie la salue avec un sourire, et le râle des mourants lui dit : ma sœur ! car elle s’appelle Démence et elle s’appelle Luxure, et les innombrables baisers qui ont à peine effilé les doigts de cette Omphale auraient suffi à user les degrés de granit qui mènent aux vestibules des palais. Goules et vampires se contenteraient de boire pour se réchauffer le jeune sang de vos veines ; mais Valentine boit ce rayon de lumière et de flamme que Dieu a mis sur les visages humains comme le signe de leur race, et elle les laisse pareils à ces oranges qu’une femme capricieuse a déchiquetées entre ses lèvres. Plus dangereuse, en effet, que l’innocente et naïve Marco, elle a absorbé plus de Raphaëls que l’armée de Sambre-et-Meuse n’a usé de paires de souliers, et ses amours ressemblent à ces troupes de grands Anges en armes qui planent au-dessus d’un champ de bataille jonché de cadavres. Elle disperse l’or comme le vent d’automne disperse les feuilles mortes. Honneur,