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rado qu’ils entrevoient à peine entouré de fossés et fermé de grilles, là-bas, là-bas, au bout de leur route.

Ne vous étonnez donc pas de la prodigieuse célébrité arrivée en un jour à un brave garçon nommé Pierre Buisson, dont le nom était resté parfaitement obscur, malgré d’assez beaux travaux littéraires et scientifiques, car sa maîtresse, Henriette de Lysle, fut le parangon même de la beauté, de la grâce et de l’élégance, admirable à faire douter si les soleils se promenaient dans la rue ?

Svelte et fière, hardie et chaste, la pâleur dorée de ses beaux traits s’harmonisait avec sa riche et soyeuse chevelure blonde, ses sourcils noirs ordonnaient et son sourire de reine était doux, et quel spectacle lorsqu’elle baissait ses paupières et qu’on pouvait admirer dans leur longueur ses cils bruns démesurés ! Son cou et ses mains, ceux de la Polymnie ; sa voix, une musique ! et en voyant ses pieds nus, aucun cordonnier n’aurait pu affirmer qu’ils eussent jamais été chaussés !

Riches tous deux, Pierre et Henriette, je ne crois pas qu’il y ait jamais eu sur la terre un pareil bonheur. Elle pouvait chanter Auber et jouer du Mozart, elle était spirituelle, elle comprenait tout, même elle savait lire et elle ne faisait pas de fautes d’orthographe ! Pourtant, comme le sybarite est toujours couché sur une feuille de rose, Pierre s’inquiétait un peu d’admirer chez son amie une ineffable sérénité et une pureté de gestes pour ainsi dire musicale, dont rien, chez aucune, femme, n’avait pu lui donner l’idée, car il semble qu’il ait dû falloir mille ans pour apprendre ainsi à imiter naturellement le calme harmonieux des statues : mais Henriette avait la jeunesse d’un lys !

Toujours reçu chez Henriette, Pierre Buisson s’affli-