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même. Elle a bien une fille, mais grâce à mille intrigues et à mille peines, (il a fallu pour cela échafauder des montagnes de mensonges,) sa fille est élevée au Sacré-Cœur, et elle ne la voit pas, car elle désire que sa fille ne figure jamais dans Les Cocottes et dans Les Pieds qui r’muent, et que jamais elle n’aille acheter quatre sous de lait dans aucune boîte au lait ! Et, à ce propos, c’est le vrai moment ; si sa mère n’a pas encore pris son café, elle doit s’impatienter ; voilà l’heure, l’heure exacte de lui porter le lait. Cette fois Lucile trouve la laitière tout de suite. « Madame, voilà quatre sous, mettez-moi quatre sous de lait dans ma boîte. » Et toujours courant, elle arrive chez sa mère. — « Toc, toc. — Qui est là ? — Ma mère, ma mie, c’est moi, ta petite Lucile. — Tirez la bobinette, la chevillette cherra ! »

« — Maman, c’est moi, je vous apporte vos quatre sous de lait, et bien d’autres choses avec, un peu de rentes, pas beaucoup, mais le dégoût sans fond, l’ennui mortel et le désespoir sans bornes ! Il faut vous dire que tous les hommes sont sots et infâmes. J’ai vu les grands seigneurs, ils sont mal élevés ; j’ai vu les gens d’esprit, ils n’ont pas d’esprit ; j’ai vu les financiers, ils n’ont pas d’argent ; j’ai vu les diplomates, ils se laissent tromper comme des Cassandres. Il y a les hommes qui montent à cheval et ceux qui ne montent pas à cheval ; les uns sont lâches et les autres sont imbéciles. De délicatesse dans l’âme de ces gens-là, il n’y en a pas plus que de roses mousseuses sur les rochers de Fontainebleau. Entre eux tous, les beaux, les brillants, les splendides, il n’y en a pas un qui sache payer une note de restaurateur d’une façon polie pour la femme qu’il accompagne ! Les restaurateurs, parlons-en. Au café Bignon, où cela coûte un louis pour ouvrir la porte et dix francs pour