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— Moi, lui dit avec de grands airs la femme qui ressemblait à toutes celles qui ont joué en province les rôles de mademoiselle George, je vis comme vous de ma noblesse. Je suis duchesse d’O***, et ma mère vendait des pommes de terre cuites à l’eau sur le pont Saint-Michel.

Héritière de cette profession philanthropique, j’enviais pour ma vieillesse un fonds de fruitière, lorsque j’eus l’idée de former une société en participation avec une de mes amies marchande au Temple, et dont le fonds se compose d’un lorgnon en chrysocale et d’une robe de velours.

Quand un jeune homme sans protection a besoin d’être recommandé à un financier, il vient me trouver. Grâce à mon nom historique, j’entre tout droit chez le financier ; mon amie me prête la robe de velours, et nous partageons ! c’est vingt francs pour une recommandation ordinaire, et le double quand il faut insister.

— Cet état-là est bien gentil, dit Silvandre. Malheureusement, il n’a pas de nom.

— Le mien non plus, parbleu ! fit mademoiselle Régine. Tous les états de femme sont des états sans nom.

Je suis la maîtresse d’un jeune fou idiot, natif de Weimar ! et je suis payée pour cela par la famille de mon amant.

Ce malheureux, qui compose des sonates et des symphonies à faire geler la chute du Niagara, n’est par bonheur ni assez fou ni assez idiot pour que sa famille puisse le faire enfermer ; mais elle garde ses deux cent mille livres de rente, et elle me donne deux mille francs par mois pour me charger de ce cadavre humain.

Mademoiselle Régine se tut. C’était simple, mais horrible !