Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tromperies ; une femme qui est spirituelle et ingénieuse comme les fées, et qui a le courage de vous dire des inepties quand votre âme saigne ? Pourtant cela est ainsi ; je l’ai vu, je le vois, je le sens.

— Raoul, dit Julien, ne serait-ce pas parce que notre esprit et notre cœur, à nous autres hommes, sont logiques, même dans leurs passions et dans leurs rêveries, et veulent arriver logiquement à la solution de tout problème ? On éprouve, n’est-ce pas ? un désir continu de s’expliquer la cause de tant de paroles et d’actions niaisement cruelles et audacieusement incohérentes. Le jour où l’on saurait ce qu’il y a dans la pensée d’une femme quand elle agit ainsi, ce jour-là on ne l’aimerait plus ; on n’aurait plus ni curiosité, ni haine, mais du mépris.

— Je le crois, dit Raoul tout pensif.

— Malheureusement, dit Julien, on ne le devinera jamais.

— Pourquoi ?

— Les femmes l’ignorent elles-mêmes ; elles se font naïvement criminelles. Faites tout entières de nerfs et de sensations, elles ne peuvent vouloir le bien qu’en obéissant à leur inspiration spontanée ou aux préceptes qu’on leur a enseignés. Le raisonnement les conduit presque toujours à des paradoxes inhumains jusqu’à la démence.

Mais, ajouta Julien, ne nous perdons pas dans de vaines théories ; n’inventons pas à grand’peine des aphorismes cent fois plus cruels que le souvenir lui-même de la douleur. Malgré le mal que cela te fait, continue le récit de ces poignantes angoisses ! Il me semble que les cœurs vraiment bien placés deviennent meilleurs encore et très-indulgents en se ressouvenant à froid des mille tortures que leur a infligées la jalousie.