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un château de cartes. Tout changea de forme à mes yeux ; et à mesure que je me rappelais froidement la démarche, la voix, les mots de Sylvanie, je pus croire qu’elle avait joué une scène d’amour.

C’est ainsi que je vivais dans des alternatives perpétuelles d’enivrement et de fureur.

Et quand elle se fut donnée à moi, quand je fus son amant, il faut bien dire ce mot-là, puisque tout finit par la réalité brutale, oh ! c’est alors que ce fut bien pis encore ! Moi, sortant de ses bras, humide encore de ses baisers, elle me traitait comme un laquais devant ses laquais et devant ses complaisants aux visages de poupées ! Ô honte ! Elle inventait des cruautés horribles sans aucun but, à propos de rien, des chimères impossibles. Elle me reprochait d’embrasser ma mère. Si je lui demandais humblement l’explication de quelque acte inouï, elle semblait d’abord vouloir dissiper mes craintes, puis elle me fermait la bouche avec une de ces injures doucereuses et polies par lesquelles les femmes exercent jusqu’à l’abus la tyrannie de la faiblesse. Ou bien elle s’égarait dans une suite de mensonges si grossiers, de raisonnements si diffus et si vides de sens, que je renonçais à l’y suivre. Je cherchais alors avec stupeur quels étaient son but et sa pensée, ce qu’elle voulait et comment une femme ose agir de la sorte et vous dire de semblables choses en face, sans rougir de honte ; avec tout cela elle était pleine de charme et je l’adorais. Que dis-je ? Je l’aime encore comme au premier jour ! ô Julien !

Je me suis souvent demandé, dans le silence de mes nuits sans sommeil, comment, avec un noble cœur, on peut continuer à aimer une femme qui vous hait, qui vous trompe, et qui ne dissimule ni ses haines ni ses