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— Raoul, dit-il, il faut te confier à nous ; ta mère est désolée. Je sais combien il en coûte pour remonter le cours de ses espoirs et de ses désenchantements ; mais il le faut. Ton cœur se brise et ne peut contenir cet ennui qui le déborde. Dis-moi toutes tes folies, toutes tes misères, bien patiemment, une à une, et je les écouterai en frère ; mon cœur sera avec le tien. C’est une bien triste histoire, n’est-ce pas ?

— Oh ! bien triste en effet, dit Raoul, mais écoute-la. Au fait, qui pourrait me comprendre et me soulager, sinon vous deux, les deux seuls êtres qui m’aimiez ? Pardonne-moi seulement le désordre de mes souvenirs.

Tu connais Sylvanie ; c’est chez ma mère, dans un bal, que je l’ai vue pour la première fois. Au milieu de toute cette gaze, de tout ce satin, au milieu de ces fleurs, de ces perles, de ces diamants, de cette lumière tumultueuse, qu’un bal parisien fait tourbillonner devant les yeux lassés ; au milieu de cet enivrement de parfums, de mains gantées, de blanches épaules, seule, madame de Lillers se détachait comme une figure pensive. En l’apercevant, je vis passer devant moi toutes nos idées sur le calme et la majesté de l’art antique. Jamais je n’avais vu à un être vivant une bouche aussi rigide ; j’admirais surtout, avec une sorte d’effroi, ces beaux cheveux fauves que tu lui connais, et qui ne semblent pas appartenir à une mortelle : des cheveux de déesse païenne et de sainte extasiée. Dès qu’elle parut, je sentis que ma volonté était morte et mon âme enchaînée. Toute la nuit, malgré moi-même, mes yeux furent attachés sur les siens.

Étrange femme ! Elle était vêtue pour le bal ; mais sa robe avait l’air d’une chlamyde. Sur elle la gaze deve-