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frances ? Est-ce qu’elle les sentait seulement ? Aimée, tout lui semblait doux, et son pénible travail de couturière et de brodeuse, et la servitude affreuse du ménage. Battue, meurtrie, prisonnière dans le bouge où sa mère buvait l’eau-de-vie, et où Capitaine fumait son brûle-gueule en chantant ses chansons infâmes, elle se trouvait heureuse, car l’espérance lui faisait un paradis, même de cette chambre, soudainement peuplée de visions riantes ! Elle ne sentait plus sa poitrine déchirée, elle ne s’affligeait pas de sa toux opiniâtre, elle ne songeait qu’au bonheur de vivre ! Le clown pouvait fredonner, dans les intervalles de ses colères, le Grenadier du régiment de Flandre ; elle n’entendait que les hymnes des fées et les harpes de sainte Cécile !

Mais, hélas ! il lui fallut bien sortir de cette extase pour entendre les cris qui éclataient dans son enfer, car de nouveaux événements y étaient survenus et rendaient sa vie tout à fait impossible. Depuis quelque temps Adolphina, devenue coquette, se parait d’une manière inusitée et ne rentrait presque plus à la maison. Les courts instants où elle y paraissait se passaient en querelles et en batailles abominables avec Capitaine. Le clown comprit qu’il était trompé, et s’abandonna à des fureurs insensées. La nouvelle passion d’Adolphina n’était déjà plus un secret pour personne ; mais, comme toujours, Capitaine fut le dernier à apprendre qu’elle s’était follement éprise d’un jeune homme de dix-sept ans, écuyer au Cirque, et beau comme un enfant trouvé qu’il était. Au dire de la sauteuse, ce diable à quatre passait à travers les ronds de papier de soie avec une grâce qui devait faire rêver une femme ! Toujours est-il qu’elle n’avait pas trop mal choisi, car son amant s’engagea dans l’armée quelques mois plus tard, et mourut en