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du charme et de l’élégance, quoique son talent fût absolument nul et sa distinction on ne peut plus contestable. À l’époque où nous le rencontrons au théâtre de la Gaîté, il avait eu la petite vérole, était devenu presque chauve, et, à vingt-sept ans, ne montrait plus que des ruines. Depuis longtemps, les fameuses émeraudes du café des Aveugles avaient été remplacées par des verroteries ; Couturier, à force d’artifices, tâchait de persuader à ses camarades qu’il était toujours l’homme à bonnes fortunes d’autrefois ; mais il sentait avec une profonde humiliation que personne ne croyait plus à ce mensonge, et que bientôt on ne ferait même plus semblant d’y croire. Il était complétement découragé, et se l’avouait enfin ! D’abord, il avait espéré de jour en jour que quelque éclatante passion excitée chez une femme brillante lui rendrait tout son luxe et sa gloire ancienne ; mais il était désabusé et ne comptait plus sur rien. Un seul rêve lui restait, habituel à ces natures lâches : il cherchait une femme à tourmenter, et voulait immoler à sa célébrité perdue une dernière victime. Sa dernière consolation, c’était l’idée qu’il ferait payer à quelque douce créature toutes les déconvenues dont il était abreuvé, et il tressaillait de joie en songeant qu’il pourrait encore sentir une proie vivante saigner sous ses griffes à demi arrachées. Ce fut le beau Couturier que Minette aima secrètement jusqu’à l’adoration, et sans espoir !

Pour cette âme enfantine qui flottait irrésolue dans les limbes célestes de l’idéal, pour cette vierge enthousiaste qui vivait dans un poëme et croyait aux féeries, Couturier était beau et brave, les princesses l’aimaient, les divinités assises sur des nuages roses venaient lui parler à l’oreille : il avait emporté l’eau de beauté de la grotte des Sirènes, il était le prince Percinet, il était le